La communauté internationale se tourne vers les grands fonds marins pour répondre aux enjeux écologiques et aux besoins de l’humanité. Un intérêt grandissant pour un espace vaste et encore très peu connu, où seulement 10 % des espèces vivantes y sont référencées. La France se place en première position sur ce terrain exploratoire, avec un potentiel encore non délimité dans de nombreux domaines. La science, les énergies marines, la biodiversité ou encore la santé puisent leur ADN dans divers environnements, qu’en serait-il des grands fonds marins. Quel est le potentiel des grands fonds marins pour l’humanité ? Que trouve-t-on à plus de 1000 m sous l’eau ? Quels sont les acteurs de ce nouveau marché ?
Qu’appelle-t-on les grands fonds marins
La profondeur des océans est classée selon 5 zones sous-marines distinctes, dont 3 définies comme zones de grands fonds marins. La zone épipélagique de profondeur 0-200 m repose sur le plateau continental. La zone mésopélagique, où vivent un million d’espèces marines recensées, se situe entre 200-1000 m.
La zone bathypélagique est encore une zone d’ombre à ce jour. Elle s’étend sur une profondeur de 1 000 à 4 000 m et donne le point de départ des grands fonds marins, avec 2 autres zones : la zone abyssopélagique (> 4000 m) et la zone hadale (> 6000 m). Ces grands fonds représentent 88,1 % du plancher océanique, soit plus de 320 millions de kilomètres carrés encore inexplorés, selon la fondation de la mer (Fondation de la Mer, 2022).
Par définition, les grands fonds marins débutent à 1000 m sous l’eau, par l’absence totale de lumière, un grand froid, et une haute pression. Plus communément appelé les abysses, ces grands fonds occupent les deux tiers de la planète Terre. Les grands fonds marins disposent de caractéristiques uniques. Il y réside une température froide et stable, une pression extrême, une obscurité totale, une bioluminescence, de vastes étendues de fonds plats et un taux d’oxygène dissous faible. Un environnement incomparable sur la planète Terre, qui en fait un territoire encore inconnu.
Une réserve potentielle de richesses biologiques et minières
Parfois considérés comme le berceau de la vie, les grands fonds marins sont potentiellement une réserve biologique et minière d’une très grande richesse. Les enjeux sont importants sur les plans économiques, écologiques et environnementaux.
En contraste total avec ce qui est alors perçu comme le moteur de la vie, la photosynthèse, une découverte de 1977 remet en cause les suppositions de zone inerte là où elle ne peut être présente. La chimiosynthèse microbactérienne alors découverte, met en évidence que les espèces abyssales se développent grâce à l’énergie chimique dégagée par cheminées hydrothermales (Sarradin et al., 2017). Une faune aux caractéristiques complexes, sources de potentielles réponses pour la science. Le scientifique Kerry Hawell soutient l’idée d’un avenir radieux, avec un potentiel considérable pour la science et la santé. Les nouvelles molécules peuvent être sources d’un bouleversement dans les traitements antibiotiques, qui n’ont pas évolué depuis plus de 30 ans, créant un accoutumance massive. Le nombre de décès par résistance aux médicaments pourrait atteindre dix millions de personnes par an, en 2050. Les éponges marines possèdent un réservoir antibiotique d’origine bactérienne encore inconnue, pouvant devenir la nouvelle souche des médicaments de demain (Howell, 2021b).
De nombreux organismes vivants inspirent les réflexions à dimension industrielle. L’halmonas titanica, métabolise le fer et constitue une piste intéressante de recherche pour la dégradation et la gestion des épaves tombées au fond de l’océan. Ces espèces marines encore inconnues représentent 90% des espèces présentent sur le plancher océanique.
Ces ressources minières se trouvent dans 3 environnements potentiels déjà identifiés :
► Les nodules polymétalliques sont présents dans les plaines abyssales (4 000 et 6 000 mètres de profondeur). Ces derniers regorgent de métaux rares parmi lesquels ; manganèse, cuivre, nickel et cobalt.
► Les encroûtements cobaltifères sont des dépôts massifs pouvant atteindre une couche de 25 cm. Une réaction chimique serait à l’origine de ces dépôts, riches en oxyde de fer et de manganèse. On compte 3x de cobalt que dans les autres sources identifiées, ce qui en fait une dénomination particulière ; d’encroûtement cobaltifère.
► Les cheminées hydrothermales autrement appelées les fumeurs noirs sont le résultat d’une eau marine chauffée à plusieurs milliers de degrés au travers de fissures rocheuses à proximité directe de la chambre magmatique. En s’évacuant, cette eau dégage principalement du sulfure de fer, des métaux de base (cuivre, zinc, plomb) ainsi que des métaux précieux (argent et or).
De façon générale, ces fonds marins sont constitués de terres et de métaux rares (cobalt, lithium ou encore du nickel). Les réserves terrestres de ces divers métaux, et particulièrement celle du cobalt, sont jugées critiques par l’Union Européenne. Disponibles en grandes quantités et ne demandant pas une extraction massive et polluante, à contrario de l’extraction terrestre, en font une source potentielle convoitée. Ces terres et métaux rares participent également au monde de demain et sont essentiels pour l’accélération de la transition énergétique. Les nouvelles énergies vertes ont besoin de métaux rares pour leur construction. En 2023, on estime que dix-sept kilos de terres rares sont nécessaires pour la construction d’une éolienne.
Ces zones encore largement inexplorées
Les mesures bathymétriques permettent de mieux appréhender les profondeurs de l’océan. Au travers de ces cartes scientifiques, se distinguent également les zones d’intérêts stratégiques. Les océans du monde entier restent des territoires inconnus au-delà de 1000 m de profondeur. L’AIFM, basée en Jamaïque, est l’autorité de régulation de l’exploration des grands fonds marins. L’organisme a accordé à ce jour (Juillet 2023) 31 licences d’exploration parmi lesquelles 19 figurent dans la zone de Clarion-Clipperton.
Cette zone est particulièrement définie, car identifiée comme une des 5 lignes du plancher du Pacifique Nord. Autrement appelée facture océanique, elle mesure environ 7240 km de long et s’étale sur environ 4 500 000 kilomètres carrés. Une source de vie et de richesses convoitées par de nombreux acteurs internationaux, dont la France, qui disposent d’un permis jusqu’en 2026.
La position singulière de la France
La France possède la plus vaste zone économique exclusive en eau profonde au monde. Plus de 10 millions de kilomètres carrés sont situés sous la barre des 1000 mètres de profondeur, soit 93 % de la superficie totale du plancher océanique français. La deuxième place appartient à la ZEE des États-Unis. La France a donc une grande responsabilité à l’égard des générations futures.
La France a lancé son plan “Grands Fonds Marins” dans le cadre de sa stratégie France 2030. Cette dernière vise à cartographier, surveiller, explorer et à investiguer les fonds marins français. Cette dynamique s’inscrit dans une démarche globale visant à répondre aux besoins opérationnels de gouvernances des espaces maritimes et de façon plus générale, participe à l’océanographie opérationnelle. Cet appel à projet grands fonds marins vise à soutenir l’émergence de solutions innovantes avec une enveloppe de 25 millions d’euros.
Les instances gouvernementales françaises ainsi que Mercator-Océan (regroupant L’Espagne, l’Italie, la Norvège, le Portugal, le Royaume-Uni et la France) se mobilisent, également, pour créer un jumeau numérique de l’océan. Seabed2023 est un projet de grande envergure, permettant de “concevoir les moyens les plus efficaces de restaurer et de protéger les habitats marins et côtiers, de soutenir les marchés durables de l’économie bleue et d’atténuer et de s’adapter au changement climatique”(Digital Twin of the Ocean – Mercator Océan – Ocean Forecasters, 2023)
Les enjeux et nouvelles technologies
“Nous en savons moins sur le plancher océanique que sur la surface de la Lune et de Mars.” (Mapping the Gaps in Our Ocean Knowledge with Seabed 2030, s. d.). Les grands fonds marins, sont en 2023, un nouveau challenge pour la communauté internationale. En 2023, uniquement cinq personnes (Jacques Piccard, Don Walsh, James Cameron, Victor Vescovo et Kathryn Sullivan) ont plongé au cœur de la fosse Marianne à 10.971 mètres (l’endroit le plus profond de l’océan). La lune compte à l’heure actuelle 12 visiteurs.
La France possède des ressources matérielles et humaines connues pour l’exploration de ces grands fonds. Sa flotte océanographique française, dont le sous-marin habité Nautile de l’ifremer, explore les eaux à une profondeur maximale de -6034 mètres. Robots et AUV font également partie des équipements ultra sophistiqués d’exploration océanographique. Cependant, il persiste des contraintes techniques. L’opacité de l’eau, la pression 1000 fois supérieure à celle de l’atmosphère, ou le manque de cartographie précise sont autant de freins à ces explorations. Également, le besoin en énergie pour le fonctionnement des solutions existantes limite l’efficacité de certains équipements. Diminuant les temps d’exploration et consommant une grande quantité d’énergie provenant de batterie. Ces solutions sont au centre d’un effort R&D constant.
De nombreuses entreprises se mobilisent pour lever les verrous techniques et ouvrir les portes de ce monde mystérieux. Les moyens d’exploration comme les véhicules téléopérés capables d’évoluer à plus de 3,000 mètres de profondeur sont extrêmement limités. De plus, ils doivent être déployés depuis un navire de surface avec qui ils conservent un lien câblé pour l’alimentation électrique et le pilotage, ce qui limite les missions dans le temps et dans l’espace.
Une solution à l’étude consisterait à pérenniser des stations autonomes pour l’alimentation électrique et la communication en grande profondeur. Ces stations, reliées par un câble dynamique à une bouée de surface capable à la fois de produire de l’énergie et de communiquer avec la terre, pourront servir de point de départ pour déployer dans la durée des instruments et véhicules autonomes sans navire de soutien. GEPS Techno et son partenaire Acergy France se penchent actuellement sur ce nouveau concept. Les premiers tests de mise en œuvre d’une telle station pourraient avoir lieu dès 2025 dans une fosse en méditerranée.
Sources
► Rapport : Fondation de la Mer – Les grands fonds marins | 2022
► Sarradin, P., Sarrazin, J. & Lallier, F. (2017). Les impacts environnementaux de l’exploitation minière des fonds marins : un état des lieux des connaissances. Annales des Mines – Responsabilité et environnement, 85, 30-34. https://doi.org/10.3917/re1.085.0030
► Howell, K. (2021c). Deep-sea Discovery – Mining marine environments for novel biologics. https://pearl.plymouth.ac.uk/handle/10026.1/18455
► Digital Twin of the Ocean – Mercator Océan – Ocean Forecasters. (2023, 21 juin). Mercator Océan – Ocean Forecasters. https://www.mercator-ocean.eu/digital-twin-ocean/
► Mapping the gaps in our ocean knowledge with Seabed 2030. (s. d.). https://oceanservice.noaa.gov/news/jun22/seabed-2030.html
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